« Pourtant,
ce dont je suggérais la fin n’était évidemment pas l’histoire comme succession
d’événements, mais l’Histoire, c’est-à-dire un processus simple et cohérent d’évolution
qui prenait en compte l’expérience de tous les peuples en même temps. Cette
acception de l’histoire est très proche de celle du grand philosophe allemand
G.W.F. Hegel. Karl Marx en a fait une partie de notre environnement
intellectuel familier, en empruntant précisément à Hegel un concept qui est
maintenant implicite lorsque l’on emploie des mots comme « primitif » ou
« avancé», « traditionnel » ou moderne, en se référant à
différents types de sociétés humaines. Pour ces deux penseurs, il existait un
développement cohérent des sociétés humaines, depuis les organisations tribales
fondées sur l’esclavage et la polyculture, jusqu’à la démocratie libérale
moderne et au capitalisme gouverné par la technologie, en passant par diverses
sortes de théocraties, monarchies et autres aristocraties de type féodal. Ce
processus évolutif n’était ni aléatoire ni inintelligible, même s’il ne
fonctionne pas toujours en ligne droite, et même si l’on pouvait se demander si
l’homme était plus heureux ou meilleur du fait des conséquences de « progrès »
historique.
Hegel aussi
bien que Marx croyaient que l’évolution des sociétés n’était pas infinie, mais
s’achevait le jour où l’humanité aurait mis au point une forme de société qui
satisferait ses besoins les plus profonds et les plus fondamentaux. Les deux
penseurs avaient ainsi établi une « fin
de l’Histoire » : pour Hegel c’était l’État libéral ; pour Marx,
la société communiste. Cela ne signifiait pas que le cycle naturel de la
naissance et de la vie et de la mort allait s’arrêter, que des événements importants
allaient cesser de se produire ou que
les journaux pour les raconter allaient cesser de paraître. Cela
signifiait, en revanche, qu’il n’y aurait plus de progrès possible dans le
développement des institutions fondamentales et des principes sous-jacents,
parce que toutes les grandes questions auraient été résolues. »
Francis FUKUYAMA, La fin de l’histoire et le dernier
homme.
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