Concernant la place de la honte dans nos sociétés dites
« libérales », il existe des diagnostics particulièrement
contradictoires .
Selon le premier, le sentiment de honte est en voie de disparition ; d’après le
second, il se répand de plus en plus massivement.
Ceux qui croient au déclin de la honte semblent penser
qu’il n’est pas nécessaire de faire une
enquête approfondie pour s’apercevoir que la honte rapportée au corps, à la
nudité, à l’intimité, a globalement disparu, en raison de la plus grande
tolérance sexuelle et de la suppression des barrières de la pudeur et de la
pudibonderie qui l’accompagne. L’exhibitionnisme massif dont la télévision,
l’ordinateur et la vidéo seraient devenus
les véhicules (des émissions du genre« Confessions intimes »
ou «Ça va se savoir » à la pornographie amateur , en passant par les
sites Internet de type « Je montre tout » )serait une
expression particulièrement frappante de ce phénomène. Mais le déclin de la honte ne se manifesterait pas seulement
dans le domaine corporel ou sexuel. Il se donnerait aussi à voir dans l’absence
totale de retenue qui accompagne l’expression publique du désir d’être
« riche et célèbre » .Les plus inventifs (ou les plus paranoïaques)
ajoutent que ce déclin s’exprime de façon un peu moins évidente, mais beaucoup
plus alarmante, dans une sorte de cynisme ou d’indifférence à l’égard de
certaines règles de justice. Il n’ y aurait plus de honte à « voler de
l’argent dans la sébile d’un aveugle » ou « à se livrer à des
escroqueries sur des vieillards et des enfants, si on se trouve à la tête
d’institutions qui en ont la charge ».Bref, ceux qui croient au déclin de
la honte voient un peu partout des signes
qui confirment leur diagnostic, ce qui
n’est pas étonnant . S’ils sont philosophes ils ont aussi tendance à tirer de
ce diagnostic toutes sortes de grandes
conclusions politiques et morales. Selon Water Berns, le déclin de la honte est
une menace contre la démocratie, car la honte promeut le contrôle de soi
nécessaire à cette forme de gouvernement. D’après Aaron Ben Ze’ev, c’est notre humanité même qui
est même par ce supposé déclin de la honte, car c’est notre capacité à éprouver
ce sentiment qui fait de nous des humains (ou qui protège notre humanité).
Ruwen Ogien, La honte est-elle immorale ?
Ruwen Ogien est directeur de recherches au CNRS.
Son travail est axé sur la philosophie analytique, dans les domaines de la
morale, de l’action, des émotions et des sciences sociales. Il a publié
notamment la Faiblesse de la volonté(PUF),un portrait logique et moral de la
haine (L’Eclat),Les causes et les raisons, Philosophie analytique et sciences
humaines(J. Chambon)
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