S'il est
impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la
nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de condition. Ce
n'est pas par hasard que les penseurs d'aujourd'hui parlent plus volontiers de
la condition de l'homme que de sa nature. Par condition ils entendent avec plus
ou moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui esquissent sa situation
fondamentale dans l'univers. Les situations historiques varient : l'homme peut
naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce
qui ne varie pas, c'est la nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y être au
travail, d'y être au milieu d'autres et d'y être mortel. Les limites ne sont ni
subjectives ni objectives ou plutôt elles ont une face objective et une face
subjective. Objectives parce qu'elles se rencontrent partout et sont partout
reconnaissables, elles sont subjectives parce qu'elles sont vécues et ne sont
rien si l'homme ne les vit, c'est-à-dire ne se détermine librement dans son existence
par rapport à elles. Et bien que les projets puissent être divers, au moins
aucun ne me reste-t-il tout à fait étranger parce qu'ils se présentent tous
comme un essai pour franchir ces limites ou pour les reculer ou pour les nier
ou pour s'en accommoder.
Jean-Paul Sartre, l'Existentialisme est un Humanisme.
Jean-Paul Sartre, l'Existentialisme est un Humanisme.
Il n'y a
donc point de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au dessus des lois ; dans
l'état même de nature l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle
qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des
chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois
et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les
barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont
établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des lois : ils
en sont les ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les
enfreindre Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand
dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi.
En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec
elles ; je ne sache rien de plus certain.
Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social.
On appelle
quelquefois effet libre ce dont le principe naturel de détermination réside
intérieurement dans l'être agissant, par exemple, ce qu'accomplit un corps
lancé dans l'espace, quand il se meut librement ; dans ce cas, on emploie le
mot liberté parce que le corps, tandis qu'il est en marche, n'est poussé par
rien d'extérieur ; nous nommons de même encore le mouvement d'une montre, un
mouvement libre parce qu'elle fait tourner elle-même son aiguille qui n'a pas
besoin par conséquent d'être poussée extérieurement ; de même nous appelons
libres les actions de l'homme, quoique par leurs principes de détermination qui
précèdent dans le temps, elles soient nécessaires : c'est qu'il s'agit de
représentations intérieures nées de nos propres forces, par là de désirs
excités selon les circonstances et par conséquent ce sont des actions faites
selon notre bon plaisir. Ce serait un misérable expédient par lequel quelques
hommes se laissent encore leurrer : ils pensent avoir résolu, par une petite
chicane de mots, ce problème difficile à la solution duquel tant de siècles ont
vainement travaillé ; il n'est guère probable qu'on puisse s'arrêter à une
solution si superficielle. En effet, il ne s'agit pas du tout de savoir si la
causalité est nécessairement déterminée d'après une loi de nature par des
principes de détermination dans le sujet ou en dehors de lui.
Si ces représentations déterminantes, d'après l'aveu même de ces mêmes hommes, ont la raison de leur existence dans le temps et dans l'état antérieur, celui-ci dans un état précédent et ainsi de suite, ces déterminations peuvent être intérieures, avoir une causalité psychologique et non mécanique, c'est-à-dire produire l'action par des représentations et non par du mouvement corporel, ce sont toujours des principes déterminants de la causalité d'un être, en tant que son existence peut être déterminée dans le temps et par conséquent soumis aux conditions nécessitantes du temps passé, qui, par conséquent, ne sont plus au pouvoir du sujet quand il doit agir. Ils impliquent donc à vrai dire la liberté psychologique (...), mais aussi la nécessité naturelle, et par suite ne laissent pas subsister une liberté transcendantale qui doit être conçue comme indépendante à l'égard de tout élément empirique et par conséquent de la nature en général.
Si ces représentations déterminantes, d'après l'aveu même de ces mêmes hommes, ont la raison de leur existence dans le temps et dans l'état antérieur, celui-ci dans un état précédent et ainsi de suite, ces déterminations peuvent être intérieures, avoir une causalité psychologique et non mécanique, c'est-à-dire produire l'action par des représentations et non par du mouvement corporel, ce sont toujours des principes déterminants de la causalité d'un être, en tant que son existence peut être déterminée dans le temps et par conséquent soumis aux conditions nécessitantes du temps passé, qui, par conséquent, ne sont plus au pouvoir du sujet quand il doit agir. Ils impliquent donc à vrai dire la liberté psychologique (...), mais aussi la nécessité naturelle, et par suite ne laissent pas subsister une liberté transcendantale qui doit être conçue comme indépendante à l'égard de tout élément empirique et par conséquent de la nature en général.
Kant, Critique de la raison pratique, Analytique de la raison pure pratique, chapitre III.
La nature a
voulu que l'homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l'agencement
mécanique de son existence animale et qu'il ne participe à aucun autre bonheur
ou à aucune autre perfection que ceux qu'il s'est créés lui-même, libre de
l'instinct, par sa propre raison. La nature, en effet, ne fait rien en vain et
n'est pas prodigue dans l'usage des moyens qui lui permettent de parvenir à ses
fins. Donner à l'homme la raison et la liberté du vouloir qui se fonde sur
cette raison, c'est déjà une indication claire de son dessein en ce qui
concerne la dotation de l'homme. L'homme ne doit donc pas être dirigé par
l'instinct ; ce n'est pas une connaissance innée qui doit assurer son
instruction, il doit bien plutôt tirer tout de lui-même. La découverte
d'aliments, l'invention des moyens de se couvrir et de pourvoir à sa sécurité
et à sa défense (pour cela la nature ne lui a donné ni les cornes du taureau,
ni les griffes du lion, ni les crocs du chien, mais seulement les mains), tous
les divertissements qui peuvent rendre la vie agréable, même son intelligence
et sa prudence et aussi bien la bonté de son vouloir, doivent être entièrement
son œuvre.La nature semble même avoir trouvé du plaisir à être la plus économe
possible, elle a mesuré la dotation animale des hommes si court et si juste
pour les besoins si grands d'une existence commençante, que c'est comme si elle
voulait que l'homme dût parvenir par son travail à s'élever de la plus grande
rudesse d'autrefois à la plus grande habileté, à la perfection intérieure de
son mode de penser et par là (autant qu'il est possible sur terre) au bonheur,
et qu'il dût ainsi en avoir tout seul le mérite et n'en être redevable qu'à
lui-même ; c'est aussi comme si elle tenait plus à ce qu'il parvînt à l'estime
raisonnable de soi qu'au bien-être.
Emmanuel Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique
(1789).
Tant que les
hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à
coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de
plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à
perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des
pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers
instruments de musique, en un mot tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des
ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du
concours de plusieurs mains, ils vécurent, sains, bons, et heureux autant
qu'ils pouvaient l'être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs
d'un commerce indépendant. Mais, dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on
s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux,
l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire et
les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser
de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la
misère germer et croître avec les moissons.
Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de
l'inégalité parmi les hommes.
En soi
Autrui-objet n'a jamais assez de force pour occasionner l'amour. Si l'amour a
pour idéal l'appropriation d'autrui en tant qu'autrui, c'est-à-dire en tant que
subjectivité regardante, cet idéal ne peut être projeté qu'à partir de ma
rencontre avec autrui-sujet, non avec autrui-objet. La séduction ne peut parer
autrui-objet qui tente de me séduire que du caractère d'objet précieux « à posséder
»; elle me déterminera peut-être à risquer gros pour le conquérir; mais ce
désir d'appropriation d'un objet au milieu du monde ne saurait être confondu
avec l'amour. L'amour ne saurait donc naître chez l'aimé que de l'épreuve qu'il
fait de son aliénation et de sa fuite vers l'autre. Mais, de nouveau, l'aimé,
s'il en est ainsi, ne se transformera en amant que s'il projette d'être aimé,
c'est-à-dire si ce qu'il veut conquérir n'est point un corps mais la
subjectivité de l'autre en tant que telle. Le seul moyen, en effet, qu'il
puisse concevoir pour réaliser cette appropriation, c'est de se faire aimer.
Ainsi nous apparaît-il qu'aimer est, dans son essence, le projet de se faire
aimer. D'où cette nouvelle contradiction et ce nouveau conflit: chacun des amants
est entièrement captif de l'autre en tant qu'il veut se faire aimer par lui à
l'exclusion de tout autre ; mais en même temps, chacun exige de l'autre un
amour qui ne se réduit nullement au « projet d'être-aimé ». Ce qu'il exige, en
effet, c'est que l'autre, sans chercher originellement à se faire aimer, ait
une intuition à la fois contemplative et affective de son aimé comme la limite
objective de sa liberté, comme le fondement inéluctable et choisi de sa
transcendance, comme la totalité d'être et la valeur suprême. L'amour ainsi
exigé de l'autre ne saurait rien demander : il est pur engagement sans
réciprocité.
Jean-Paul Sartre, L' Être et le Néant ,194, Gallimard, coll. «
Tel », 1994, p. 424.
(...) s'il
est difficile aux États nés libres, mais dont les principes de liberté se sont
relâchés d'eux-mêmes, comme à Rome, de trouver des lois capables de maintenir
leur liberté, il n'est pas étonnant que des États qui ont commencé dans la
servitude éprouvent, je ne dis pas de la difficulté, mais même une véritable
impossibilité à se constituer de manière à pouvoir vivre à la fois libres et
tranquilles.
Nicolas Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, I, Ch. XLIX, Pléiade p. 485.
"Tu
travailleras à la sueur de ton front !" Cette malédiction, Adam la
reçut de la bouche de Jéhovah, et c'est bien ainsi qu'Adam Smith entend le
travail ; quant au « repos » il serait identique à la liberté et au « bonheur
». C'est le moindre souci de Smith que « dans son état normal de santé, de
force, d'activité, d'habileté, de dextérité », l'individu ait également besoin
d'une quantité normale de travail qui mette fin à son repos. Il est vrai que la
mesure du travail semble venir de l'extérieur, dictée par les obstacles à
surmonter en fonction du but à atteindre. Il ne soupçonne pas non plus que le
renversement de ces obstacles constitue en soi une affirmation de liberté ; il
ne voit aucunement la réalisation de soi, l'objectivation du sujet, donc sa
liberté concrète qui s'actualise précisément dans le travail. Sans doute Smith
a raison lorsqu'il dit que dans ses formes historiques : esclavage, corvée,
salariat, le travail est toujours répulsif, qu'il apparaît toujours comme une «
contrainte extérieure », et qu'en face de lui, le non travail est « liberté »
et « bonheur ». Cela est doublement vrai pour un travail plein de
contradictions, un travail qui n'a pas encore su créer les conditions objectives
et subjectives (...) qui le rendraient « attractif », propice à
l'autoréalisation de l'individu...
Karl Marx, Principes d'une critique de l'économie politique.
Ajoutons
d'ailleurs que les villes où les peuples gouvernent font d'étonnants progrès en
peu de temps, et bien plus grands que celles qui vivent sous des princes. Qu'on
se rappelle Rome, après l'expulsion de ses rois ; Athènes, après s'être
délivrée des Pisistratides : cette différence ne peut naître que de la
supériorité du gouvernement d'un peuple sur celui d'un prince. En vain
m'objecterait-on ce que notre historien a dit dans l'endroit cité et ailleurs ;
car si on passe en revue les hontes et les gloires respectives des princes et
des peuples on verra les peuples l'emporter de loin sur les princes. Si les
princes se montrent supérieurs pour créer des lois, donner une Constitution à
un pays, établir une nouvelle forme de gouvernement, les peuples leur sons si
supérieurs pour maintenir l'ordre établi, qu'ils ajoutent même à la gloire de
leurs législateurs.
Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, I, Ch. LVIII,
Qu'un peuple est plus sage et plus constant qu'un prince, Pléiade p.
505.
Des
fondements de l'État (...) il résulte avec la dernière évidence que sa fin
dernière n'est pas la domination ; ce n'est pas pour tenir l'homme par la
crainte et faire qu'il appartienne à un autre, que l'État a été institué ; au
contraire c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant
que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve, aussi bien qu'il se pourra,
sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. Non, je le
répète, la fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition
d'êtres raisonnables à celles de bêtes brutes ou d'automates mais au contraire
il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de
toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils
ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans
malveillance les uns les autres. La fin de l'État est donc en réalité la
liberté.
Baruch de Spinoza, Traité théologico politique, chap. XX.
S'il y a un
Autre, quel qu'il soit, où qu'il soit quels que soient ses rapports avec moi
sans même qu'il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son
être, j'ai un dehors, j'ai une nature ; ma chute originelle c'est l'existence
de l'autre ; et la honte est - comme la fierté - l'appréhension de moi-même
comme nature, encore que cette nature même m'échappe et soit inconnaissable
comme telle. Ce n'est pas, à proprement parler, que je me sente perdre ma
liberté pour devenir une chose, mais elle est là-bas, hors de ma liberté vécue,
comme un attribut donné de cet être que je suis pour l'autre. Je saisis le
regard de l'autre au sein même de mon acte, comme solidification et aliénation
de mes propres possibilités.
Sartre, L'être et le Néant, Paris, Gallimard, 1943, p. 321.
Sartre, L'être et le Néant, Paris, Gallimard, 1943, p. 321.
Pour que la
philosophie apparaisse il faut la conscience de la liberté, et le peuple dans
lequel la philosophie commence doit avoir la liberté comme principe ;
pratiquement, cela est lié à l'épanouissement de la liberté réelle, la liberté
politique. Celle-ci commence seulement là où l'individu se sait comme individu
pour soi, comme universel, comme essentiel, comme ayant une valeur infinie en
tant qu'individu ; où le sujet a atteint la conscience de la personnalité, où
donc il veut affirmer sa valeur absolument pour soi. La libre pensée de l'objet
y est incluse, - de l'objet absolu, universel, essentiel. Penser, cela veut
dire mettre quelque chose dans la forme de l'universalité ; se penser veut dire
se savoir comme universel, se donner la détermination de l'universel, se
rapporter à soi. là est contenu l'élément de la liberté pratique [...]. Dans
l'histoire la philosophie apparaît donc seulement là où et en tant que se
forment de libres constitutions. D'Esprit doit se séparer de son vouloir
naturel, de son immersion dans la matière.
Georg Friedrich W.Hegel, Leçons sur l'histoire de la philosophie.
Le plus grand récent événement - à savoir que « dieu
est mort », que la croyance au Dieu chrétien est tombée en discrédit - commence
dès maintenant à étendre son ombre sur l'Europe. Aux quelques rares, tout au
moins, doués d'une suspicion assez pénétrante, d'un regard assez subtil pour ce
spectacle, il semble en effet que quelque soleil vienne de décliner, que
quelque vieille, profonde confiance se soit retournée en doute : à ceux-là
notre vieux monde doit paraître de jour en jour plus crépusculaire, plus
méfiant, plus étranger, « plus vieux ». Mais sous le rapport essentiel on peut
dire : l'événement en soi est beaucoup trop considérable, trop lointain, trop
au-delà de la faculté conceptuelle du grand nombre pour que l'on puisse
prétendre que la nouvelle en soit déjà parvenue, bien moins encore, que
d'aucuns se rendent compte de ce qui s'est réellement passé, comme de tout ce
qui doit désormais s'effondrer, une fois ruinée cette croyance, pour avoir été
fondée sur elle, et pour ainsi dire enchevêtrée en elle : par exemple notre
morale européenne dans sa totalité. Cette longue et féconde succession de
ruptures, de destructions, de déclins, de bouleversements, qu'il faut prévoir
désormais : qui donc aujourd'hui la devinerait avec assez de certitude pour
figurer comme le maître, l'annonciateur de cette formidable logique de
terreurs, le prophète d'un obscurcissement, d'une éclipse de soleil comme
jamais il ne s'en produisit en ce monde (...) ? D'où vient que même nous
autres, nous envisagions la montée de cet obscurcissement sans en être vraiment
affectés, et surtout sans souci ni crainte pour nous-mêmes ? Subirions-nous
trop fortement peut-être l'effet des conséquences immédiates de l'événement -
conséquences immédiates qui pour nous autres ne sont, contrairement à ce que
l'on pourrait peut-être en attendre, nullement affligeantes ni assombrissantes,
mais bien plutôt comme une lumière, une félicité, un soulagement, un égaiement,
un réconfort, une aurore d'une nouvelle sorte qui ne se décrit que
difficilement...
En effet, nous autres philosophes, nous autres « esprits libres », à la nouvelle que le « vieux dieu est mort », nous nous sentons comme touchés par les rayons d'une nouvelle aurore : notre cœur, à cette nouvelle, déborde de reconnaissance, d'étonnement, de pressentiment, d'attente - voici l'horizon à nouveau dégagé, encore qu'il ne soit point clair, voici nos vaisseaux libres de reprendre leur course, de reprendre leur course à tout risque.
En effet, nous autres philosophes, nous autres « esprits libres », à la nouvelle que le « vieux dieu est mort », nous nous sentons comme touchés par les rayons d'une nouvelle aurore : notre cœur, à cette nouvelle, déborde de reconnaissance, d'étonnement, de pressentiment, d'attente - voici l'horizon à nouveau dégagé, encore qu'il ne soit point clair, voici nos vaisseaux libres de reprendre leur course, de reprendre leur course à tout risque.
Friedrich Nietzsche, Le gai Savoir, V, Nous qui sommes sans crainte, §
343, Notre sérénité, Bouquins T. II, p. 205.
La plupart
des hommes semblent croire qu'ils sont libres dans la mesure où il leur est
permis d'obéir à leurs penchants, et qu'ils abandonnent de leur indépendance
dans la mesure où ils sont tenus de vivre selon la prescription de la loi
divine. La moralité donc, et la religion, et, sans restriction, tout ce qui se
rapporte à la force d'âme, ils les prennent pour des fardeaux qu'ils espèrent
déposer après la mort, pour recevoir le prix de la servitude, à savoir de la
moralité et de la religion ; et ce n'est pas cet espoir seul, mais aussi et
surtout la crainte d'être punis par d'horribles supplices après la mort, qui
les poussent à vivre selon la prescription de la loi divine, autant que le
permettent leur petitesse et leur âme impuissante. Et si les hommes n'avaient
pas cet espoir et cette crainte, s'ils croyaient au contraire que les esprits
périssent avec le corps et qu'il ne reste aux malheureux épuisés par le fardeau
de la moralité aucune survie, ils reviendraient à leurs naturels, voudraient tout
gouverner selon leurs penchants et obéir à la fortune plutôt qu'à eux-mêmes. Ce
qui ne me paraît pas moins absurde que si un homme, parce qu'il ne croit pas
nourrir éternellement son corps de bons aliments, préférait se saturer de
poisons mortels ; ou bien, parce qu'il voit que l'esprit n'est pas éternel ou
immortel, préfère être dément et vivre sans la Raison : absurdité telle qu'elle
mérite à peine d'être relevée.
Spinoza
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