jeudi 31 août 2017

Francis Fukuyama : l’histoire est terminée, mais la vie et l’action humaine ne s’arrêtent pas





« Pourtant, ce dont je suggérais la fin n’était évidemment pas l’histoire comme succession d’événements, mais l’Histoire, c’est-à-dire un processus simple et cohérent d’évolution qui prenait en compte l’expérience de tous les peuples en même temps. Cette acception de l’histoire est très proche de celle du grand philosophe allemand G.W.F. Hegel. Karl Marx en a fait une partie de notre environnement intellectuel familier, en empruntant précisément à Hegel un concept qui est maintenant implicite lorsque l’on emploie des mots comme « primitif » ou « avancé», « traditionnel » ou moderne, en se référant à différents types de sociétés humaines. Pour ces deux penseurs, il existait un développement cohérent des sociétés humaines, depuis les organisations tribales fondées sur l’esclavage et la polyculture, jusqu’à la démocratie libérale moderne et au capitalisme gouverné par la technologie, en passant par diverses sortes de théocraties, monarchies et autres aristocraties de type féodal. Ce processus évolutif n’était ni aléatoire ni inintelligible, même s’il ne fonctionne pas toujours en ligne droite, et même si l’on pouvait se demander si l’homme était plus heureux ou meilleur du fait des conséquences de « progrès » historique.


 Hegel aussi bien que Marx croyaient que l’évolution des sociétés n’était pas infinie, mais s’achevait le jour où l’humanité aurait mis au point une forme de société qui satisferait ses besoins les plus profonds et les plus fondamentaux. Les deux penseurs avaient ainsi établi  une « fin de l’Histoire » : pour Hegel c’était l’État libéral ; pour Marx, la société communiste. Cela ne signifiait pas que le cycle naturel de la naissance et de la vie et de la mort allait s’arrêter, que des événements importants allaient cesser de se produire ou que  les journaux pour les raconter allaient cesser de paraître. Cela signifiait, en revanche, qu’il n’y aurait plus de progrès possible dans le développement des institutions fondamentales et des principes sous-jacents, parce que toutes les grandes questions auraient été résolues. »
Francis FUKUYAMA, La fin de l’histoire et le dernier homme.