mardi 19 septembre 2017

Hegel: "De la mort sort la vie" et la mort comme la naissance sortent du multiple et du conflit des identités

1.  


     Si donc je ne suivais que ma raison humaine dans la raison universelle, en essayant d’atteindre ce qui probable ou même hautement très probable, en partant des mots et des conceptions de l’existence, du monde, du devenir et de l’histoire, notamment du monisme matérialiste ou spiritualiste, d’Aristote et de l’eudémonisme, de Hegel, de Lavoisier, de Darwin, de Francis Fukuyama et peut-être encore d’autres moins connus de moi, mais aussi de manifestations universellement observables et renseignant objectivement d’abord en elles-mêmes avant toutes interprétation raisonnable ou exagérée, 



2.       Je dirais qu’il existe quelque chose et pas rien, parce que la force est la première composante nécessaire et universelle de toute chose, et l’essence de toute force est d’agir, de créer, de se créer, de d’auto créer, de reproduire, d’imiter, et que l’universalité de la surveillance des mouvements et des activités internes et externes des forces du Devenir universel dans la nature et dans les sociétés humaines, par les hommes et par leurs diverses institutions, activités  et objets signifiants, pourrait être l'origine de l’idée selon laquelle l’existence a un sens, une signification, une valeur, un chemin, une démarche, une logique, une orientation, une unité, une fin visible ou invisible dans le monde physique ou dans le monde métaphysique, desquels on peut détourner toute chose et desquels tout existant libre peut se détourner, mais vers lesquels par nécessité inscrite dans ses origines, il revient toujours, et que le sens du devenir c’est le passage du multiple dans tout existant particulier et dans toute société, vers le non multiple, et que sa fin est la naissance de l’un dans le multiple, la naissance de l’être en tant qu’être dépouillé de toutes ses identités intermédiaires qui rendaient sa reconnaissance toujours provisoire, attendant l’émergence d’une autre identité émergent de sa propre intimité et par laquelle, il retrouve sa plus haute satisfaction, principe à l’origine de sa conception et de tous ses mouvements Pour dire, le sens et la fin du Devenir universel, n’est-ce pas la marche des mortels vers l’immortel ?

mercredi 13 septembre 2017

Fukuyama: "Une boucherie de quatre années pour quelques mètres carrés de terrain dévasté"





Le pessimisme extrême de notre propre siècle est dû au moins partiellement à la cruauté avec laquelle ces attentes ont été déçues. 



La Première Guerre mondiale a remis en cause de manière fondamentale la confiance en soi de la vieille Europe. Elle a jeté à bas l’ancien ordre politique représenté par les monarchies autrichienne, allemande et russe, mais son impact le plus profond fut essentiellement d’ordre psychologique. 



Quatre années d’une boucherie atroce dans les guerres de tranchées, au cours de laquelle des dizaines de milliers d’hommes mouraient en un seul jour pour quelques mètres carrés de terrain dévasté, constituèrent, selon les mots de Paul Fussell, « une épouvantable contradiction au mythe « mélioriste » qui avait dominé la conscience publique pendant un siècle », inversant complètement l’ « idée de progrès ». 




 Les vertus de loyauté, de travail acharné, de persévérance et de patriotisme furent mobilisées au service du massacre systématique et inutile d’autres hommes, discréditant du même coup le mode bourgeois qui avait créé ces valeurs…



L’idée que le progrès industriel de l’Europe pouvait être détourné pour une guerre sans rédemption ni signification morale entraîna d’amères dénonciations de toutes les tentatives pour trouver de plus grands modèles ou leçons d’Histoire.



 Le célèbre historien anglais H.A.L Fisher put ainsi écrire en 1934 : « Des hommes plus sages et plus cultivés que moi ont discerné dans l’histoire un tracé, un rythme, un schéma prédéterminé. Ces harmonies restent cachées à mes yeux : je ne puis voir qu’une urgence faisant suite à une autre, comme la vague suit la vague. » 


Francis Fukuyama, La fin dans l’histoire et le dernier homme, Première partie, « Notre pessimisme », Page 29.

dimanche 10 septembre 2017

Robert Mackenzie : L’histoire est une transmission de trésors entre générations pour le bien-être universel





                                                PREMIÈRE PARTIE

                  NOUVELLES QUESTIONS POUR UN VIEUX PROBLÈMES 




Le pessimisme du XXe siècle contraste fortement avec l’optimisme des siècles précédents. Bien que l’Europe eût commencé le XXe siècle dans les convulsions de la Révolution et de la guerre généralisée, ce fut en gros un siècle de paix et d’accroissement sans précédent du bien-être général. L’optimisme avait alors deux raisons fondamentales. La première était la croyance que la science moderne améliorerait la vie humaine en effaçant la maladie et la pauvreté. La nature, vieil adversaire de l’homme, devait être maîtrisée par la technique moderne et contrainte de servir aux fins du bonheur de celui-ci. La seconde était que de libres gouvernements démocratiques allaient continuer de se répandre dans des pays toujours plus nombreux.
L’ « esprit de 1776 » et celui de la Révolution française vaincraient les tyrans, les autocrates et les prêtres superstitieux du monde entier, et l’obéissance aveugle à l’autorité serait remplacée par une autonomie rationnelle dans laquelle tous les hommes, « libres et égaux en droit », obéiraient non plus à des maîtres mais à eux-mêmes. A la lumière de ce vaste mouvement vers la civilisation, même des guerres sanglantes comme celles de Napoléon pouvaient être interprétées par des philosophes comme débouchant sur des progrès sociaux, puisqu’elles favorisent la diffusion du gouvernement républicain. Un grand nombre de théories, certaines sérieuses et d’autres moins, furent mise en avant pour expliquer comment l’histoire humaine constituait un tout cohérent, dont les vicissitudes pouvaient être comprises comme conduisant bon-an-mal-an au progrès de l’ère moderne. En 1880, un certain Robert Mackenzie était ainsi en mesure d’écrire :




L’histoire humaine est l’enregistrement d’un progrès, l’enregistrement des connaissances qui s’accumulent et de la sagesse qui s’accroît, d’un continuel avancement depuis un degré inférieur jusqu’au degré supérieur d’intelligence et de bien-être. Chaque génération transmet à la suivante les trésors dont elle a elle-même hérité, modifiés et enrichis de sa propre expérience, agrandis par les fruits de toutes les victoires qu’elle a remportées elle-même. La croissance du bien- être de l’homme, sauvé des malversations et des caprices des princes, est confiée à présent à la tutelle bénéfique de grandes lois providentielles.
Francis FUKUYAMA, La fin de l’histoire et le dernier homme.

mercredi 6 septembre 2017

Francis FUKUYAMA, La fin de l’histoire et le dernier homme


        Francis FUKUYAMA, La fin  de l’histoire et le dernier homme     
1.                     Dans cet article, j’avançais l’idée suivante : un consensus assez remarquable semblait apparu ces dernières années concernant la démocratie libérale comme système de gouvernement, puisqu’elle avait triomphé des idéologies rivales-monarchie héréditaire, fascisme et tout récemment, communisme. Je considérais en outre que la démocratie libérale pourrait bien constituer le « point final de l’évolution idéologique de l’humanité », et la « forme finale de tout gouvernement humain », donc être en tant que telle la « fin de l’Histoire ». Alors que les anciennes formes de gouvernement étaient caractérisées par de graves défauts et des irrationalités qui finissaient par entraîner leur effondrement, on pouvait prétendre que la démocratie libérale était exempte de ces contradictions fondamentales. Non que les démocraties stables d’aujourd’hui-comme la France, les États-Unis ou la Suisse-ne connussent ni injustice ni graves problèmes sociaux, mais ces problèmes venaient d’une réalisation incomplètes des deux principes de liberté et d’égalité, fondements même de toute démocratie moderne, plutôt que ces principes eux-mêmes. Certains pays modernes pouvaient bien échouer dans l’établissement d’une démocratie libérale et d’autres retomber dans des formes primitives de gouvernement comme la théocratie ou la dictature militaire, l’idéal de la démocratie libérale ne pouvait pas être amélioré sur le plan des principes. P11





2.                     L’article original….P11.12


3.                      « Pourtant, ce dont je suggérais la fin n’était évidemment pas l’histoire comme succession d’événements, mais l’Histoire, c’est-à-dire un processus simple et cohérent d’évolution qui prenait en compte l’expérience de tous les peuples en même temps. Cette acception de l’histoire est très proche de celle du grand philosophe allemand G.W.F. Hegel. Karl Marx en a fait une partie de notre environnement intellectuel familier, en empruntant précisément à Hegel un concept qui est maintenant implicite lorsque l’on emploie des mots comme « primitif » ou « avancé», « traditionnel » ou moderne, en se référant à différents types de sociétés humaines. Pour ces deux penseurs, il existait un développement cohérent des sociétés humaines, depuis les organisations tribales fondées sur l’esclavage et la polyculture, jusqu’à la démocratie libérale moderne et au capitalisme gouverné par la technologie, en passant par diverses sortes de théocraties, monarchies et autres aristocraties de type féodal. Ce processus évolutif n’était ni aléatoire ni inintelligible, même s’il ne fonctionne pas toujours en ligne droite, et même si l’on pouvait se demander si l’homme était plus heureux ou meilleur du fait des conséquences de ce « progrès » historique.12


4.                     «  Hegel aussi bien que Marx croyaient que l’évolution des sociétés n’était pas infini, mais s’achevait le jour où l’humanité aurait mis au point une forme de société qui satisferait ses besoins les plus profonds et les plus fondamentaux. Les deux penseurs avaient ainsi établi  une « fin de l’Histoire » : pour Hegel c’était l’Etat libéral ; pour Marx, la société communiste. Cela ne signifiait pas que le cycle naturel de la naissance et de la vie et de la mort allait s’arrêter, que des événements importants allaient cesser de se produire ou que  les journaux pour les raconter allaient cesser de paraître. Cela signifiait, en revanche, qu’il n’y aurait plus de progrès possible dans le développement des institutions fondamentales et des principes sous-jacents, parce que toutes les grandes questions auraient été résolues. »Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme.  12   

              
              
5.                     Le présent ouvrage n’est pas une répétition de mon article original, ni une tentative pour prolonger le débat avec les nombreux critiques et commentateurs de cet article. C’est encore moins un compte rendu de la fin de la « guerre froide » ou tel autre de ces sujets à la mode dans la politique extérieure contemporaine. Même s’il se nourrit des récents événements mondiaux, son sujet revient sur une question très ancienne : est-il raisonnable pour nous, en cette fin de XXe siècle, de continuer à parler d’une histoire de l’humanité cohérente et orientée, qui finira par conduire la plus grande partie de l’humanité vers la démocratie libérale ? La réponse à laquelle j’arrive est positive, pour deux séries de raisons : la première est d’ordre économique et l’autre est liée à ce que l’on pourrait appeler la « lutte pour la reconnaissance ».12



6.                     A l’évidence…13



7.                     Et pourtant la bonne nouvelle…13



8.                     Tous ces développements, si souvent recommencés avec la terrifiante histoire de la première moitié de ce siècle, alors que les régimes totalitaires-de gauche comme de droite-semblaient progresser, imposent d’examiner de nouveau s’il existe un lien plus profonde qui les relie ou bien, si ce ne sont que des incidents dus au hasard. En soulevant une fois encore le vieux problème ( y a -t-i quelque chose comme une histoire universelle de l’humanité), j’ai bien conscience de reprendre un débat commencé au début de XIXe siècle, mais plus ou moins abandonné à notre époque  en raison de la monstruosité des événements subis depuis par l’humanité. Tout en m’appuyant sur les idées de philosophes comme Kant ou Hegel, qui ont posé cette question bien avant moi, j’espère que les arguments présentés ici tiendront par eux-mêmes.14



9.                     Ce volume présente avec une certaine audace non seulement une mais mêmes deux tentatives séparées pour définir une telle histoire « Histoire universelle». Après avoir établi dans la première partie pourquoi nous avons besoin d’évoquer à nouveau la possibilité de celle-ci, nous proposerons dans la deuxième partie un début de réponse, en tentant d’utiliser la physique moderne, comme régulateur ou comme mécanisme pour expliquer l’orientation et la cohérence de l’histoire. La physique  moderne constitue en effet un excellent point de départ, parce que c’est la seule activité sociale importance qui, par l’effet d’un consensus général, soit à la fois cumulative et orientée, même si ses effets ultimes sur le bonheur de l’homme demeurent ambigus. La conquête progressive de la nature, rendue possible par le développement de la méthode scientifique au XVe  et XVIIe siècles, a réussi à constater certaines règles précises déterminées non par l’homme, mais par la nature et par ses lois.14




10.           Le développement des sciences physique a eu pour effet14




11.           Toutefois…15



12.           Notre première tentative16



13.           Mais les interprétations économiques de l’histoire16



14.           Selon Hegel, les êtres humains, tout comme les animaux, ont des besoins et des désirs 16




15.           Le désir de reconnaissance…17




16.           Selon Hegel, le désir d’être reconnu…17





17.           Hegel pensait que la « contradiction » inhérente à la relation du maître et de l’esclave avait été finalement dépassée par la Révolution française (à laquelle on aimerait ajouter l’indépendance américaine). Ces deux révolutions démocratiques ont en effet aboli la distinction entre maître et esclave, en faisant des anciens esclaves leurs propres maîtres, par l’établissement des principes de souveraineté populaire et du règne de la Loi. La reconnaissance intrinsèquement inégale des maîtres et des esclaves est alors remplacée par une reconnaissance réciproque et universelle, dans laquelle chaque citoyen reconnaît la dignité et l’humanité de chaque autre citoyen : cette dignité est son reconnue à son tour par l’État grâce à la reconnaissance de certains droits.17.18




18.           Cette interprétation hégélienne de la signification de la démocratie libérale contemporaine diffère assez largement de l’interprétation anglo-saxonne  qui a servi de fondement théorique au libéralisme dans des pays comme l’Angleterre ou les États-Unis. Selon cette tradition, la quête orgueilleuse de la reconnaissance devait être subordonnée à l’intérêt personnel bien compris-combinaison du désir et de la raison en termes platoniciens- et particulièrement au désir de la conservation de soi et de son corps. Hobbes, Locke et les « pères fondateurs » comme Jefferson et Madison pensent que les droits existaient comme moyens de préserver une sphère privée où les hommes pouvaient s’enrichir et satisfaire la partie désirante de leur âme. Hegel par contre, voit les droits comme des fins en soi, parce que ce qui satisfait pleinement les êtres humains, n’est pas tant la prospérité matérielle que la reconnaissance de leur statut et de leur dignité. Avec la révolution de la France et d’Amérique, Hegel jugeait que l’histoire touchait à sa fin parce que l’aspiration qui avait déterminé le processus historique-le « désir de reconnaissance » -était désormais satisfaite dans une société caractérisée par la reconnaissance universelle et réciproque. Aucun autre arrangement des institutions sociales humaines n’était mieux à même de satisfaire cette aspiration, donc aucun changement historique vers un progrès plus grand n’était désormais possible. Francis FUKUYAMA, La fin de l’histoire et le dernier homme, page 18-19.



19.           Le désir de reconnaissance- ou thymos-19



20.           Comprendre l’importance de ce désir de reconnaissance…19



21.           Pourtant la réalité…20



22.           La lutte pour la reconnaissance nous permet aussi d’accéder à la nature de la politique internationale. Le désir de reconnaissance qui entraîne à l’origine les combattants primitifs dans une bataille à mort pour le seul prestige conduit légitimement à l’impérialisme et à l’empire du monde. La relation du maître et de l’esclave au niveau de la famille trouve naturellement sa réplique au niveau des États, où les nations dans leur ensemble cherchent et entrent dans des conflits sanglants pour la suprématie. Le nationalisme, forme moderne-quoique non totalement rationnelle- de reconnaissance, a constitué le véhicule de ces luttes dans les siècles passés et la source des plus violents conflits de notre temps. C’est le monde de la « politique des puissances » tel que le décrivent les « réalistes » en politique étrangère, comme Henry Kissinger. » FUKUYAMA, P.20-21.



23.            « Mais si la guerre est fondamentalement provoquée par le désir de reconnaissance, il serait logique que la révolution libérale- qui abolit la relation du maître et de l’esclave en faisant des anciens esclaves leurs propres maîtres-eût des effets similaires entre les États. La démocratie libérale replace le désir irrationnel d’être reconnu comme plus grand que d’autres par le désir rationnel d’être reconnu comme leur égal. Un monde constitué de démocraties libérales devrait donc connaître beaucoup moins d’occasions de guerres puisque toutes les nations y reconnaîtraient réciproquement leur légitimité mutuelle. L’évidence empirique témoigne de fait que depuis cents ans, les démocraties libérales ne se comportent pas de manière impérialiste les unes envers les autres, même si elles sont parfaitement capables de faire la guerre à des États qui ne sont pas des démocraties et qui ne partagent pas leurs valeurs fondamentales. Le nationalisme est actuellement en plein essor dans des régions comme l’Europe de l’Est et l’union soviétique, où l’on a longtemps refusé aux divers peuples leur identité nationale : même dans les plus vieilles et les plus calmes des nations, le nationalisme est en train d’évoluer. L’exigence de reconnaissance nationale en Europe de l’Ouest a été domptée et rendue compatible avec la reconnaissance universelle, un peu comme la religion, il y a trois ou quatre siècles. » Francis FUKUYAMA, la fin de l’histoire et le dernier homme, P.21.



24.           La cinquième et dernière partie de ce livre pose enfin la question de la « fin de l’Histoire » et de la créature qui naît à la fin, le « dernier homme ». Au cours de la discussion qui suivit l’article du National Interest, beaucoup ont pensé que la possibilité de la fin de l’Histoire tournait en fait autour de la question suivante : y avait-il visiblement dans le monde actuel des alternatives viables à la démocratie libérale ? La controverse se déchaîna aussi sur d’autres questions : le communisme était-il vraiment mort ? la religion ou l’ultranationalisme pouvaient-ils revenir en force ?etc. Mais la question la plus sérieuse et la plus profonde concerne la bonté de la démocratie libérale en elle-même, et pas seulement de savoir si elle réussira ou non de ses rivales actuelles. En supposant que la démocratie libérale soit pour l’instant à l’abri d’ennemis extérieurs, pouvons-nous affirmer que des sociétés démocratiques réussies pourraient le rester indéfiniment ? Ou bien la démocratie libérale est-elle la proie de sérieuses contradictions internes, contradictions si graves qu’elles finiront par ruiner le système politique qu’elle constitue ?Il est trop évident que les démocraties contemporaines affrontent beaucoup de problèmes délicats, depuis la drogue, le vagabondage et le crime jusqu’aux dommages infligés à l’environnement et à la frivolité du consumérisme. Mais ces problèmes ne sont manifestement pas insolubles sur la base des principes du libéralisme, ni si graves qu’ils doivent conduire inéluctablement à l’effondrement de la société dans son entier, comme on a vu le communisme s’effondrer à la fin des années 1980. Page. 21.22



25.           Alexandre Kojève, grand commentateur de Hegel au XXe siècle, a affirmé avec intransigeance que l’histoire s’est terminée parce que ce qu’il appelle « l’État universel et homogène »-pour nous, la démocratie libérale- a définitivement résolu la question de la reconnaissance en remplaçant la relation du maître et de l’esclave par la reconnaissance universelle et égale. Ce que l’homme a recherché durant le cours de l’histoire-et qui a déterminé les précédentes « étapes de l’histoire »-était la reconnaissance : dans le monde moderne, il a fini par la trouver et a été « totalement satisfait ». Cette assertion a été proclamée par Kojève avec le plus grand sérieux et nous devons de notre côté la prendre avec le même sérieux. Il est possible en effet de comprendre le problème de la politique pendant les millénaires de l’histoire comme l’effort pour résoudre le problème de la reconnaissance. Celle-ci est le problème central de la politique parce qu’elle est à l’origine de la tyrannie, de l’impérialisme et du désir de domination. Pourtant, même si elle a une face obscure, elle ne saurait être simplement éradiquée de la vie politique, car elle est en même temps le fondement psychologique de qualités et de vertus comme le courage, l’esprit du bien public et la justice. Toutes les communautés politiques doivent faire appel au désir de reconnaissance, tout en se protégeant elles-mêmes de ses effets destructeurs. Si d’aventure un gouvernement  constitutionnel trouvait une formule dans laquelle tous seraient reconnus de manière à éviter néanmoins l’émergence de la tyrannie, il aurait alors une prétention toute particulière à la stabilité et à la longévité parmi les régimes apparus sur la terre. Page 22.


26.           La reconnaissance accessible aux citoyens des démocraties libérales contemporaines est-elle toutefois « entièrement satisfaisante » ? L’avenir à long terme de la démocratie libérale et les alternatives qui pourraient un jour se révéler à ce système dépendent par-dessus tout de la réponse à cette question. Dans la cinquième partie, nous esquissons deux réponses critiques, respectivement « de gauche » et « de droite ». La réponse de «gauche » pourrait dire que la reconnaissance universelle dans une démocratie libérale est nécessairement incomplète, parce que le capitalisme crée des inégalités et requiert une division du travail qui engendre ipso facto une reconnaissance inégale. A cet égard, le niveau absolu de prospérité d’une nation ne fournit aucune solution, parce qu’il y aura toujours des citoyens relativement pauvres, donc littéralement invisibles en tant qu’êtres humains pour leurs concitoyens plus aisés. En bref, la démocratie libérale continue  à reconnaître inégalement des gens qui sont égaux en principe. FUKUYAMA,22-23




27.           La seconde critique de la reconnaissance universelle, plus pernicieuse selon moi, vient de la « droite » qui a été profondément affectée par les effets niveleurs de l’idéologie égalitaire de la Révolution française et le philosophe Frédéric Nietzsche, dont les conceptions ont été anticipées à certains égards par ce grand observateur des sociétés démocratiques que fut Alexis de Tocqueville. Nietzsche estimait que la démocratie libérale moderne représentait non pas l’émancipation des anciens esclaves, mais la victoire inconditionnelle de ces mêmes esclaves, et incarnait une sorte de moralité servile. Le citoyen typique d’une démocratie libérale était bien ce « dernier homme », formé à l’école du libéralisme moderne, qui avait renoncé à l’orgueilleuse croyance en sa propre valeur supérieure en échange d’une confortable préservation de soi. La démocratie libérale produisait des « hommes sans courage », entièrement faits de désirs et de raison, habile à trouver de nouvelles manières de satisfaire un essaim de passions mesquines grâce au calcul de l’intérêt égoïste à long terme. Mais le dernier homme manquait complètement de thymos, ou du désir d’être reconnu plus grand que les autres, désir sans lequel aucune excellence, aucune perfection n’est possible. Satisfait de son bonheur et incapable de ressentir quelque honte que ce fût devant son incapacité à s’élever au-dessus de ses passions médiocres, le dernier homme cessait d’être humain. P.23.



28.           A la suite de Nietzsche, nous sommes amenés à poser les questions suivantes : l’homme que la reconnaissance universelle et égalitaire-et rien de plus-satisfait totalement n’est-il pas un peu moins qu’un être complet, voire un objet de mépris, un « dernier homme » sans vaillance ni aspiration ?  N’y a-t-il pas une part de la personne humaine qui recherche délibérément la lutte, le danger, le risque et l’audace, et cette partie ne reste-t-elle pas insatisfaite par le mot d’ordre «  paix et prospérité » de la démocratie libérale contemporaine ? La satisfaction de certains êtres humains ne dépend-elle pas d’une reconnaissance intrinsèquement inégalitaire ? Le désir d’une reconnaissance inégale ne constitue-t-il pas en effet le fondement d’une vie vivable, non pas seulement pour des sociétés aristocratiques périmées, mais aussi dans les démocraties libérales modernes ? La survie future de celles-ci ne dépendrait-elle pas, dans une certaine mesure, du degré selon lequel leurs citoyens chercheront à être reconnus non seulement comme égaux, mais bien comme supérieurs aux autres ?Et la crainte de devenir de méprisables « derniers hommes », ne pourrait-elle pas conduire certaines à s’affirmer de manière nouvelle et imprévue, au point de redevenir des « premiers hommes » semblables aux brutes  primitives, engagés dans des luttes sanglantes-mais cette fois avec des armes redoutablement modernes ? P.23. 24



29.           Cet ouvrage cherche à poser ces questions. Elles viennent tout naturellement une fois que l’on s’est demande s’il existe vraiment quelque chose comme le progrès, et si l’on peut bâtir une histoire universelle de l’humanité dotée d’une orientation et d’une cohérence. Les totalitarismes de droite comme de gauche nous ont trop occupés pour considérer sérieusement la dernière question à propos de la majeure partie de ce siècle ;  mais avec la fin de ce même siècle, l’affaiblissement de ces totalitarismes nous invite à reprendre ce vieux problème une fois. 24
30.             
                                                                 




                                              PREMIÈRE PARTIE :
                       NOUVELLE QUESTIONS

        POUR UN VIEUX PROBLEME