Hegel pensait que la « contradiction »
inhérente à la relation du maître et de l’esclave avait été finalement dépassée
par la Révolution française( à laquelle on aimerait ajouter l’indépendance
américaine). Ces deux révolutions démocratiques ont en effet aboli la
distinction entre maître et esclave, en faisant des anciens esclaves leurs
propres maîtres, par l’établissement des principes de souveraineté populaire et
du règne de la Loi. La reconnaissance intrinsèquement inégale des maîtres et
des esclaves est alors remplacée par une reconnaissance réciproque et
universelle, dans laquelle chaque citoyen reconnaît la dignité et l’humanité de
chaque autre citoyen : cette dignité est son reconnue à son tour par l’État
grâce à la reconnaissance de certains droits.
Cette
interprétation hégélienne de la signification de la démocratie libérale
contemporaine diffère assez largement de l’interprétation anglo-saxonne qui a servi de fondement théorique au libéralisme
dans des pays comme l’Angleterre ou les États-Unis. Selon cette tradition, la
quête orgueilleuse de la reconnaissance devait être subordonnée à l’intérêt
personnel bien compris-combinaison du désir et de la raison en termes
platoniciens- et particulièrement au désir de la conservation de soi et de son
corps. Hobbes, Locke et les « pères fondateurs » comme Jefferson et
Madison pensent que les droits existaient comme moyens de préserver une sphère
privée où les hommes pouvaient s’enrichir et satisfaire la partie désirante de
leur âme. Hegel par contre, voit les droits comme des fins en soi, parce que ce
qui satisfait pleinement les êtres humains, n’est pas tant la prospérité
matérielle que la reconnaissance de leur statut et de leur dignité. Avec la
révolution de la France et d’Amérique, Hegel jugeait que l’histoire touchait
à sa fin parce que l’aspiration qui avait déterminé le processus historique-le « désir de reconnaissance »
-était désormais satisfaite dans une société caractérisée par la reconnaissance
universelle et réciproque. Aucun autre arrangement des institutions sociales
humaines n’était mieux à même de satisfaire cette aspiration, donc aucun
changement historique vers un progrès plus grand n’était désormais possible.
Francis
FUKUYAMA, La fin de l’histoire et le dernier homme.
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