PREMIÈRE PARTIE
NOUVELLES QUESTIONS POUR UN VIEUX PROBLÈMES
Le
pessimisme du XXe siècle contraste fortement avec l’optimisme des siècles
précédents. Bien que l’Europe eût commencé le XXe siècle dans les convulsions
de la Révolution et de la guerre généralisée, ce fut en gros un siècle de paix
et d’accroissement sans précédent du bien-être général. L’optimisme avait alors
deux raisons fondamentales. La première était la croyance que la science
moderne améliorerait la vie humaine en effaçant la maladie et la pauvreté. La
nature, vieil adversaire de l’homme, devait être maîtrisée par la technique
moderne et contrainte de servir aux fins du bonheur de celui-ci. La seconde
était que de libres gouvernements démocratiques allaient continuer de se
répandre dans des pays toujours plus nombreux.
L’ « esprit
de 1776 » et celui de la Révolution française vaincraient les tyrans, les
autocrates et les prêtres superstitieux du monde entier, et l’obéissance
aveugle à l’autorité serait remplacée par une autonomie rationnelle dans laquelle
tous les hommes, « libres et égaux en droit », obéiraient non plus à
des maîtres mais à eux-mêmes. A la lumière de ce vaste mouvement vers la
civilisation, même des guerres sanglantes comme celles de Napoléon pouvaient
être interprétées par des philosophes comme débouchant sur des progrès sociaux,
puisqu’elles favorisent la diffusion du gouvernement républicain. Un grand
nombre de théories, certaines sérieuses et d’autres moins, furent mise en avant
pour expliquer comment l’histoire humaine constituait un tout cohérent, dont
les vicissitudes pouvaient être comprises comme conduisant bon-an-mal-an au
progrès de l’ère moderne. En 1880, un certain Robert Mackenzie était ainsi en
mesure d’écrire :
L’histoire humaine est l’enregistrement
d’un progrès, l’enregistrement des connaissances qui s’accumulent et de la
sagesse qui s’accroît, d’un continuel avancement depuis un degré inférieur
jusqu’au degré supérieur d’intelligence et de bien-être. Chaque génération
transmet à la suivante les trésors dont elle a elle-même hérité, modifiés et
enrichis de sa propre expérience, agrandis par les fruits de toutes les
victoires qu’elle a remportées elle-même. La croissance du bien- être de l’homme,
sauvé des malversations et des caprices des princes, est confiée à présent à la
tutelle bénéfique de grandes lois providentielles.
Francis
FUKUYAMA, La fin de l’histoire et le
dernier homme.
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