Les hommes ne recherchent pas simplement le
confort matériel, mais le respect ou la reconnaissance, et ils croient qu’ils méritent
ce respect parce qu’ils possèdent une certaine valeur ou une certaine dignité.
Une psychologie ou une science politique qui ne prendrait pas en compte le
désir de reconnaissance de l’homme et sa volonté intermittente-mais très
prononcée- d’agir parfois contre ses instincts naturels les plus forts
méconnaîtrait quelque chose de très important à propos du comportement humain.
Pour Hegel,
la liberté n’était pas simplement un phénomène psychologique, mais l’essence de
ce qui était spécifiquement humain. Dans ce sens, la liberté et la nature sont
diamétralement opposées. « Liberté » ne signifie pas la liberté de
vivre dans la nature ou conformément à la nature : au contraire, la
liberté ne commence que là où la nature cesse. La liberté humaine n’apparaît
que lorsque l’homme est capable de transcender son existence naturelle et
animale, et de créer un nouveau moi pour lui-même.
Le point de départ emblématique de ce processus d’autocréation est la lutte à
mort de pur prestige.
Mais si
cette lutte pour la reconnaissance est le premier acte authentiquement humain,
il est loin d’être le dernier. La lutte se termine en effet par une relation de
maître à esclave qui est loin d’être satisfaisante, à plus d’un titre, pour l’un
comme pour l’autre. La bataille sanglante entre les « premiers hommes »
de Hegel n’est que le point de départ de la dialectique hégélienne, et nous
laisse un très long chemin à parcourir avant d’atteindre la démocratie libérale
moderne.
Le problème de l’histoire humaine peut être vu, en un sens, comme la
recherche d’un moyen de satisfaire à la fois les maitres et les esclaves dans
leur désir de reconnaissance, sur une base de réciprocité et d’égalité ; l’Histoire
se termine alors avec la victoire d’un ordre social qui accomplit cet objectif.
Toutefois,
avant de passer aux étapes ultérieures dans l’évolution dialectique, il serait
utile d’opposer la conception hégélienne du « premier homme » à l’état
de nature les visions des fondateurs du libéralisme moderne, Hobbes et Locke.
En effet, si les points de départ et d’arrivée de Hegel sont assez semblables à
ceux des penseurs anglais, les conceptions de l’homme sont radicalement
différentes et nous offrent des points de vue opposés sur la démocratie libérale
moderne.
Francis
Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme,
« Au début, une lutte à mort de pur prestige ».
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