lundi 2 octobre 2017

Francis Fukuyama: La démocratie américaine n'a pas résolu tous les conflits



Pour expliquer pourquoi les progrès de l’industrialisation doivent produire la démocratie libérale, trois types d’arguments ont été mis en avant : seule la démocratie serait capable de traiter l’ensemble complexe d’intérêts conflictuels qui sont engendré par une économie moderne. Cette idée a été fortement soutenue par Talcott Parsons, qui estimait que la démocratie était  un « processus évolutif universel » pour toutes les sociétés :

   

« L’argument fondamental qui nous fait considérer l’association démocratique comme un fait universel, malgré ces problèmes, est le suivant :plus une société devient vaste et complexe, plus une organisation politique efficace est importante, non seulement pour sa capacité administrative, mais aussi- et non moins- pour son soutien à un ordre légal universaliste(…) Aucune forme institutionnelle fondamentale différente de l’association démocratique ne peut(…) ménager le consensus dans (l’exercice du pouvoir et de l’autorité) grâce à des personnages et des groupes particuliers, et pour la prise de décision politique particulièrement contraignantes. »….



 Le succès relatif de la démocratie américaine à résoudre les conflits entre les différents intérêts de groupe à l’intérieur d’une population à la fois hétérogène et dynamique n’implique pas que la démocratie soit par définition capable de trancher les conflits qui se font jour dans d’autres sociétés. L’expérience américaine est tout à fait unique dans la mesure où les « Américains » pour reprendre les propos de Tocqueville sont « nés égaux ». Malgré la diversité des provenances et des terres où ils avaient leurs ancêtres, ils ont abandonné ces identités en arrivant en Amériques et se sont fondus dans une nouvelle société sans classes sociales strictement définies, ni divisions ethniques de l’Amérique a été suffisamment fluide pour prévenir jusqu’à présent l’apparition de classes sociales rigides, de nationalismes secondaires importants ou de minorités linguistiques. La démocratie américaine a rarement eu à affronter certains des conflits sociaux les plus difficiles à traiter, comme d’autres sociétés plus anciennes.
En outre, cette démocratie américaine n’a pas été non plus particulièrement heureuse pour traiter son problème ethnique majeur, celui des Noirs. L’esclavage noir a longtemps constitué la principale exception au principe général selon lequel les Américains étaient « nés égaux » et la démocratie américaines n’a pas été réellement capable de résoudre le problème de l’esclavage par des moyens démocratiques. Longtemps après l’abolition de l’esclavage, c’est-à-dire longtemps après l’obtention de la pleine égalité légale par les Noirs américains, bon nombre d’entre eux restent profondément étrangers aux courants principaux de la culture américaine. Étant donné la nature fondamentalement culturelle du problème, aussi bien au côté noir que du côté blanc, il n’est pas évident que la démocratie américaine soit réellement capable de faire ce qui serait nécessaire pour assimiler totalement les Noirs e( pour passer d’une égalité formelle des chances à une égalité plus générale et plus réelle des conditions.
Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, « Au pays de l’éducation ».

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