mardi 10 février 2015

Science, philosophie, changement de vision du monde des choses et des êtres et gouvernance

   
                                                        Werner Heisenberg
 
                                                                    
 
 
                                                  I. LE CONCEPT DE CAUSALITE
 
 
 
      Historiquement parlant, l'application du concept causalité à la règle de cause à effet est relativement récente. Dans les philosophies anciennes, le terme causa avait une signification bien plus générale qu'il ne l'a aujourd'hui. Se référant à Aristote, la Scolastique par exemple parlait de quatre formes de "cause". On y trouve la causa formalis, qu'aujourd'hui on appellerait la structure ou le contenu conceptuel d'une chose, la causa materialis, c'est-à-dire la matière dont est faite une chose; la causa finalis, qui est le but d'une chose et, enfin, la causa efficiens. Seule la cause efficiens correspond à peu près à ce que nous désignons aujourd'hui par le terme de cause.
 
 
 
        La transformation du concept de causa dans le concept actuel de cause s'est produite au cours des siècles, en liaison interne avec la transformation de la réalité entière, telle que les hommes la conçoivent , et avec la naissance des sciences de la nature au début de l'ère moderne. Dans la mesure où le processus matériel gagnait en réalité, le terme causa s'appliquait au processus matériel particulier qui précédait l'événement à expliquer et, en quelque sorte, le provoquait.
 
 
 
 
C'est pourquoi Kant qui, sur beaucoup de points, tire les conséquences du développement des sciences de la nature depuis Newton, emploie déjà le terme de causalité dans l'acception habituelle au XIXème siècle: "Lorsque nous apprenons qu'une chose arrive, nous présupposons toujours qu'une chose a précédé dont la première découle selon une règle." C'est ainsi que la formule de la causalité fut limitée et s'identifia finalement au fait de s'attendre qu'un évènement de la nature soit rigoureusement déterminé et que, par conséquent, la connaissance exacte de la nature ou de l'une de ses parties suffise, du moins en principe, à prévenir l'avenir.
 
 
La physique de Newton était ainsi conçue qu'on pouvait calculer à l'avance, à partir de l'état d'un système, à un moment déterminé, le mouvement futur du système. Que ce soit un principe de la nature, Laplace l'a formulé de la façon la plus générale et la plus compréhensible: il a forgé la fiction d'un démon qui, a un moment donné, connaîtrait la position et le mouvement de tous les atomes et serait  alors en mesure de calculer d'avance l'avenir total de l'univers. Si l'on veut prendre le terme de causalité ay sens restreint, on parle aussi de "déterminisme" et on entend  pas là qu'il y a des lois naturelles fixes qui déterminent rigoureusement  l'état futur d'un système d'après l'état actuel.
Werner Heisenberg, La nature dans la physique contemporaine, "physique de l'atome er loi de la causalité"

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