lundi 9 février 2015

Hannah Arendt: Du gouvernement du pouvoir totalitaire

Le besoin de surveillance est présent dans la nature avant d'être la préoccupation fondamentale dans la vie sociale de l'homme et dans la vie personnelle de l'homme.
Ce qui est discuté dans la famille, dans le quartier, dans le village, dans la cité, dans la conception, dans la naissance historique de l’État et dans celle de toutes les institutions de surveillance en son sein, ce n'est pas la nécessité de la surveillance et celle du métier de berger pour répondre à ce besoin à la fois individuel et collectif autour duquel se retrouvent toutes les choses et tous les êtres de nature à être gouvernés ou à gouverner. L'existence surveille l'existence parce l'existence, celle du ver de terre comme celle du roseau et celle du minéral, est toujours accompagné d'une portion du pouvoir de l'univers, du pouvoir de la famille, du pouvoir de la société, du pouvoir de l’État.

Pour celui qui pense la surveillance de l'existence, pour celui qui la réclame comme pour celui qui l'exerce comme pour celui qui pourrait nier sa nécessité ou une certaine forme de surveillance, ce qui est toujours en jeu dans la surveillance de l'existence, c'est ce pouvoir dans chaque chose et dans chaque être vivant. L'existence surveille l'existence en tant qu'individu, dans sa forme de roseau comme dans sa forme de ver de terre, parce le pouvoir qui est dans l'intimité du roseau et qui est sa part initial du capital universel de l'univers ou d'une certaine part dissociable et dissociée du capital de l'univers dont une partie est mobile et une autre fixe, est en mesure de détruire l'existence du roseau ou de détruire quelque autre unité de l'existence s'ils venaient à entrer en contact et se lier d'une certaine manière, mais parce qu'aussi, il se trouve dans le roseau, un pouvoir qui, bien qu'étant dans l'intimité du roseau, dans l'intimité de son âme, de son corps, de son esprit, n'est pas seulement dans l'existence pour répondre aux besoin du roseau. L'existence surveille l'existence parce que chaque chose est un chargé d'un certain pouvoir, est en soi un certain pouvoir qui peut être son pouvoir individuel exclusif ou un pouvoir dont il ne serait que le porteur et qu'il ne devrait pas utiliser n'importe comment pour n'importe quoi et n'importe quand.

 L'existence surveille l'existence, parce que chaque pouvoir est convoité par un autre pouvoir dans un champ de pouvoirs formant des réseaux naturels et artificiels et historiques de pouvoirs dans lesquels les choses et les êtres vivants peuvent s'affaiblir ou se renforcer. L'existence surveille l'existence, parce dès qu'une chose au sein de la nature ou parmi les hommes est dépourvu de tout pouvoir et de toute influence sur sa propre intimité ou sur une autre portion de son environnement, il cesse d'exister, parce qu'il cesse d'être présent par les effets de son absence ou de sa présence dans les corps et dans l'esprit des choses. Dès que le toxicomane cesse de ressentir une sensation désagréable de manque, il commence à sortir des chaînes de la drogue parce que le pouvoir de la drogue sans rien perdre de son intimité, commence à perdre de son action et de son influence sur le sujet. Les économistes ne diraient pas le contraire au sujet de l'essence des choses et des êtres. Ce qui n'a pas de pouvoir n'a pas de mesure parce qu'il n'a pas de valeur d'action et de valeur d'usage. Comme toute chose cherche donc à conserver son pouvoir, ou au moins une partie du pouvoir qui lui est nécessaire pour agir ou pour recevoir une action, et comme toute action n'est pas nécessaire la meilleure pour son acteur et pour son environnement, même si cet acteur est lucide et expérimenté et supposé sage, parce que le monde et les choses et leurs pouvoirs sont à la fois clairs et obscurs et que personne ne peut s'assurer de tout voir et de voir clair, il est nécessaire de surveiller l'existence et plus l'existence est compliquée, plus elle est complexe, elle demande de plus en plus la conception d'un métier spécial qui est le métier de berger que l'on appelle Gouvernance ou Ngueynaak à Pagaal, en même tant qu'une certaine manière d'exercer cette activité sur soi ou sur une autre portion de l'existence.


Ce qui est discuté, ce n'est pas l'existence du besoin de surveillance et la nécessité d'un métier spécial, d'une science et d'un art spécial pour cette mission de surveillance. Par contre, les moyens, les formes, la légitimité, l'efficacité, la rationalité, la pertinence, les finalités de la surveillance de l'existence, de la gouvernance et du métier de berger ne sont pas vus partout de la même manière.
Dans l'esprit de toutes les religions révélées du monde, le monde est compris comme un gigantesque corps sensible et intelligent composé d'un ensemble de choses et d'êtres vivants dont le nombre et les caractéristiques individuelles et collectives sont toujours extensibles et compressible, mais qui malgré son étendue et sa complexité, est sous direction d'un Berger qui sent et comprend et voit tout, tous les problèmes possibles, toutes les solutions possibles, tout le présent, tout le passé, tout le futur, un œil qui voit l'intimité de toute chose et dans les intimités des choses grandes ou petite. C'est ce berger de l'univers que l'on appelle partout Dieu. Il y a aussi des conceptions de l'existence qui voient que l'existence humaine peut avoir un seul berger qui serait la source, le siège de tous les pouvoirs, le foyers de toutes les décisions, le foyers de toutes les actions et de toutes les réalisation, un seul responsable de la définition de ce que sont ou pourraient être, ce que pourraient vouloir, de ce que devrait être les choses et les êtres, de ce qu'ils devraient faire et ne pas faire, sentir et ne pas sentir, dire ou ne pas dire, de la manière de le dire ou de le faire et devant lequel toute chose et tout être, tout pouvoir se plierait sans murmure. C'est le pouvoir totalitaire.
" Lorsque les dirigeants totalitaires proclament que le pays où ils ont réussi à s'emparer du pouvoir n'est à leurs yeux que le quartier général temporaire du mouvement international en marche pour la conquête du monde, lorsqu'ils considèrent leurs victoires et défaites en termes de siècles ou de millénaires et que les intérêts planétaires priment toujours sur les intérêts locaux de leur propre territoire, nous tenons ces propos pour négligeables. La fameuse phrase, "le droit est ce qui est bon pour le peuple allemand" n'était employé que pour des fins de propagande de masse; aux nazis, on disait que le "droit est ce qui est bon pour le mouvement", et les intérêts de l'un et de l'autre étaient toujours loin de toujours coïncider. Les nazis ne pensaient pas que les Allemands formaient une race de seigneurs, à qui le monde appartenait; ils pensaient au contraire que ceux-ci devaient être guidés, au même titre que toutes les autres nations, par une race de seigneurs, laquelle était sur le point de naître. Ce n'était point les Allemands qui formaient l'aurore de cette race de maitres, mais les SS. "L'empire mondial germanique", comme disait Himmler,
" Lorsque les dirigeants totalitaires proclament que le pays où ils ont réussi à s'emparer du pouvoir n'est à leurs yeux que le quartier général temporaire du mouvement international en marche pour la conquête du monde, lorsqu'ils considèrent leurs victoires et défaites en termes de siècles ou de millénaires et que les intérêts planétaires priment toujours sur les intérêts locaux de leur propre territoire, nous tenons ces propos pour négligeables. La fameuse phrase, "le droit est ce qui est bon pour le peuple allemand" n'était employé que pour des fins de propagande de masse; aux nazis, on disait que le "droit est ce qui est bon pour le mouvement", et les intérêts de l'un et de l'autre étaient toujours loin de toujours coïncider. Les nazis ne pensaient pas que les Allemands formaient une race de seigneurs, à qui le monde appartenait; ils pensaient au contraire que ceux-ci devaient être guidés, au même titre que toutes les autres nations, par une race de seigneurs, laquelle était sur le point de naître. Ce n'était point les Allemands qui formaient l'aurore de cette  race de maitres, mais les SS. "L'empire mondial germanique", comme disait Himmler,
That's right - Heinrich Himmler . Himmler's strange fascination with ...
ou l'empire mondial "aryen" comme aurait plutôt dire Hitler, n'était de toute façon envisageable qu'à des siècles de distance. Pour le "mouvement", il était plus important de démontrer qu'il était possible de fabriquer une race anéantissant d'autres "races" que de gagner une guerre aux objectifs limités. Ce qui frappe l'observateur extérieur comme "une folie prodigieuse" n'est que la conséquence de l'absolue primauté du mouvement, non seulement sur l’État, mais aussi sur la nation, le peuple, et le pouvoir dont sont investis les dirigeants eux-mêmes. L'ingénieux système du gouvernement totalitaire, avec cette concentration absolue, inégalée, du pouvoir dans les mains d'un seul homme, n'avait jamais été expérimenté au paravent parce qu'aucun tyran ordinaire ne fût  jamais assez fou pour écarter toute considération d'intérêt limité et local-économique, national, humain, militaire-en faveur d'une réalité purement fictive dans on ne sait quel avenir lointain et indéfini"
Hannah ARENDT, "Le totalitarisme au pouvoir", in Les Origines du totalitarisme, pp.748-749.

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