jeudi 12 février 2015

Hannah Arendt:gouvernance, souvernaineté, Etat- nation, réfugiés, apatride, sentiment d'intérêts commun, solidarité, entente


                                               


« Dénué d’important et en apparence simple jouet de la loi, l’apatride fut rejoint dans son statut juridique par les réfugiés de l’après-guerre que les révolutions avaient chassés de leur pays et qui étaient promptement dénationalisés par les gouvernements en place.
 




 
Appartiennent à ce groupe, par ordre chronologique, des millions de Russes, des centaines de millier d’Arméniens, des milliers de Hongrois, des centaines de milliers d’Allemands et un peu plus d’un demi-million d’Espagnols, pour n’énumérer que les catégories les plus importantes.
 
 
L’attitude de ces gouvernements peut aujourd’hui apparaître comme la conséquence naturelle de la guerre civile ; mais, à l’époque, les dénationalisations massives étaient quelque chose d’entièrement nouveau et de tout à fait imprévu. Elles présupposaient une structure d’Etat qui, si elle n’était pas encore tout à fait totalitaire, n’était pas en tout cas prête à tolérer  la moindre opposition, et qui aurait préféré perdre ses citoyens plutôt que donner asile à des individus aux vues divergente.
 
 
 
 Elles révélaient, en outre, ce qui avait été dissimulé durant toute l’histoire de la souveraineté nationale, à savoir que les souverainetés entre pays voisins pouvaient se livrer une lutte à mort non seulement en cas extrême de guerre, mais aussi en temps de paix.
 
 
Désormais, il était claire qu’une entière souveraineté nationale était pôssible seulement aussi longtemps qu’un concert des nations européens existait ; car c’était cet esprit de solidarité et d’entente tacites qui empêchait les gouvernements d’exercer intégralement leur pouvoir souverain. En théorie, dans le domaine du droit international, il avait toujours été vrai que la souveraineté n’est nulle part plus absolue qu’en matière d’ « émigration, de naturalisation, de nationalité et d’expulsion » ; mais,  quoi qu’il en soit, les considérations pratiques avaient restreint la souveraineté nationale jusqu’à l’essor des régimes totalitaires.
 
 
On est presque tenté de mesurer le degré de contamination totalitaire d’après le niveau auquel les gouvernements concernés utilisent leur droit de dénaturation (et il serait alors fort intéressant de découvrir que l’Italie de Mussolini répugnait au fond à traiter ses réfugiés de cette manière²⁴). Mais il faut également se souvenir qu’il n’est pratiquement pas un seul pays du continent qui n’ait adopté entre les deux guerres une nouvelle législation qui, même si elle n’utilisait pas ce droit à outrance, était toujours formulée de manière à permettre de se débarrasser à un moment considéré comme opportun d’un grand nombre de ses habitants²⁵ »

Aucun paradoxe de la politique contemporaine ne dégage une ironie plus poignante que ce fossé entre les efforts des idéalistes bien intentionnés, qui s’entêtent à considérer comme « inaliénables » ces droits humains dont ne jouissent que les citoyens des pays les plus prospères et les plus civilisés, et la situation des sans-droits. Leur situation s’est détériorée tout aussi obstinément, jusqu’à ce que le camp d’internement-qui était avant la Seconde Guerre mondiale l’exception plutôt que la règle pour les apatrides-soit devenu la solution de routine au problème de la domiciliation des « personnes déplacées ».

Hanna Arendt, « Le déclin de l’Etat-nation », in Les origines du totalitarisme, PP.575-576.

 


24. La loi italienne de 1926 contre l’ « émigration abusive » semblait annoncer des mesures de dénaturation contre des réfugiés antifascistes.

25.        La première loi de ce type a été une mesure de guerre prise par la France en 1915 et qui ne s’appliquait qu’aux citoyens naturalisés d’origine ennemie qui avaient gardé leur nationalité d’origine…

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