mardi 10 mai 2011

Ruwen Ogien et d'autres sur "la place de la honte dans les sociétés...



Concernant la place de la honte dans nos sociétés dites « libérales », il existe des diagnostics particulièrement contradictoires .
Selon le premier, le sentiment de honte est  en voie de disparition ; d’après le second, il se répand de plus en plus massivement.
Ceux qui croient au déclin de la honte semblent penser qu’il  n’est pas nécessaire de faire une enquête approfondie pour s’apercevoir que la honte rapportée au corps, à la nudité, à l’intimité, a globalement disparu, en raison de la plus grande tolérance sexuelle et de la suppression des barrières de la pudeur et de la pudibonderie qui l’accompagne. L’exhibitionnisme massif dont la télévision, l’ordinateur et la vidéo seraient devenus  les véhicules (des émissions du genre« Confessions intimes » ou «Ça  va se savoir » à la pornographie amateur , en passant par les sites Internet  de  type « Je montre tout » )serait une expression particulièrement frappante de ce phénomène. Mais le déclin  de la honte ne se manifesterait pas seulement dans le domaine corporel ou sexuel. Il se donnerait aussi à voir dans l’absence totale de retenue qui accompagne l’expression publique du désir d’être « riche et célèbre » .Les plus inventifs (ou les plus paranoïaques) ajoutent que ce déclin s’exprime de façon un peu moins évidente, mais beaucoup plus alarmante, dans une sorte de cynisme ou d’indifférence à l’égard de certaines règles de justice. Il n’ y aurait plus de honte à « voler de l’argent dans la sébile d’un aveugle » ou «  à se livrer à des escroqueries  sur des vieillards  et des enfants, si on se trouve à la tête d’institutions qui en ont la charge ».Bref, ceux qui croient au déclin de la honte voient  un peu partout des signes qui confirment  leur diagnostic, ce qui n’est pas étonnant . S’ils sont philosophes ils ont aussi tendance à tirer de ce diagnostic toutes  sortes de grandes conclusions politiques et morales. Selon Water Berns, le déclin de la honte est une menace contre la démocratie, car la honte promeut le contrôle de soi nécessaire à cette forme de gouvernement. D’après  Aaron Ben Ze’ev, c’est notre humanité même qui est même par ce supposé déclin de la honte, car c’est notre capacité à éprouver ce sentiment qui fait de nous des humains (ou qui protège notre humanité).
Ruwen Ogien, La honte est-elle immorale ?


Ruwen Ogien est directeur de recherches au CNRS. Son travail est axé sur la philosophie analytique, dans les domaines de la morale, de l’action, des émotions et des sciences sociales. Il a publié notamment la Faiblesse de la volonté(PUF),un portrait logique et moral de la haine (L’Eclat),Les causes et les raisons, Philosophie analytique et sciences humaines(J. Chambon)

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