vendredi 1 janvier 2016

ANNE DUFOURMANTELLE sur Liberté et conscience d'être divisé et séparé de son être


 
Elle nous demande de risquer notre désir comme si c'était une chose infiniment précieuse, un évènement unique, une voix intérieure. D'aller, en somme, en devant de soi, là où nous ne savons pas que nous sommes, là où quelque chose ignoré de nous parle pourtant de nous et nous convoque. La liberté est une convocation. Mais comment en répondre, puisqu'on ne peut ni la vouloir ni en précipiter l'issue? C'est peut-être une disposition d'être, une "inclinaison" comme on disait au XVII e siècle, une disposition à l'instant juste, au kairos, à cette intensité qui désigne ce moment où nous sommes vraiment vivants, entièrement. Ce qu'on appelle la chance, ou bien le destin, n'est sans doute qu'une interprétation possible de cette intensité de présence à autrui et à l'événement. Car la liberté nous appelle du point le plus éloigné( en apparence) de nous-mêmes, elle offre très peu de résistances à objections, s'écarte de nous, disparait. Elle s'offre comme un angle mort dans le rétroviseur, il faut se retourner pour voir ce qui gît là. Or rien dans les annales de notre passé n'y répond, il n' y a ici plus de code de conduite, plus d'héritage, seulement un futur à vif pas encore écrit. Ce sont d'abord les peurs qui nous précèdent , bien avant les actes. La dépression n'est qu'un autre nom de ce refus de liberté ou plus exactement l'impossibilité radicale, mais ignorée de nous, de croire qu'une libération est possible, un affranchissement des limites "objectives" de notre existence. Ce qui se partage en nous,  ici, c'est le champ d'une bataille sans fin, car le risque d'être libre atteint les plus anciennes que nous portons; nos armures sur ce front de guerre n'ont pas été faites par nous mais par d'autres générations, d'autres mémoires.
 
ANNE DUFOURMANTELLE, Eloge du risque.

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