vendredi 22 janvier 2010

Quelques textes à comprendre et à discuter

SUJET III:Expliquez et discutez le texte suivant:



Les hommes supérieurs se distinguent des inférieurs en ce qu'ils voient et entendent indiciblement plus, et ils ne voient et n'entendent qu'en méditant - et c'est cela qui distingue l'homme de l'animal comme les animaux supérieurs des inférieurs. Le monde s'enrichit sans cesse davantage aux yeux de qui se développe en s'élevant dans les hauteurs de l'humain ; les appâts de l'intérêt, de plus en plus nombreux, sont lancés vers lui : la quantité de ses excitations s'accroît sans cesse en même temps que ses différentes sortes de plaisir et de déplaisir - l'homme supérieur devient à la fois plus heureux et plus malheureux… Nous autres méditatifs-sensibles, sommes en réalité ceux qui produisons sans cesse quelque chose qui n'existe pas encore : la totalité du monde, éternellement en croissance, des appréciations, des couleurs, des poids, des perspectives, des degrés, des affirmations et des négations. Cette création poétique de notre invention, est sans cesse étudiée, répétée pour être représentée par nos propres acteurs que sont les soi-disant hommes pratiques, incarnée, réalisée par eux, voire traduit en banalités quotidiennes. Tout ce qui a quelque valeur dans le monde actuel, ne l'a pas en soi, ne l'a pas de sa nature - la nature est toujours sans valeur ; mais a reçu un jour de la valeur, tel un don, et nous autres nous en étions donateurs ! C'est nous qui avons créé le monde qui concerne l'homme !

Nietzsche, Le Gai Savoir, IV




"Voici maintenant la condition suivant laquelle une société peut se former sans que le Droit Naturel y contredise le moins du monde, et tout pacte être observé avec la plus grande fidélité ; il faut que l'individu transfère à la société toute la puissance qui lui appartient, de façon qu'elle soit seule à avoir sur toutes choses un droit souverain de Nature, c'est-à-dire une souveraineté de commandement à laquelle chacun sera tenu d'obéir, soit librement, soit par crainte du dernier supplice. Le droit d'une société de cette sorte est appelé Démocratie, et la démocratie se définit ainsi : l'union des hommes en un tout qui a un droit souverain collectif sur tout ce qui est en son pouvoir. De là cette compétence que le souverain n'est tenu par aucune loi et que tous lui doivent obéissance pour tout ; car tous ont dû, par un pacte tacite ou exprès, lui transférer toute la puissance qu'ils avaient de se maintenir, c'est-à-dire tout leur droit naturel. Si, en effet, ils avaient voulu conserver pour eux-mêmes quelque chose de ce droit, ils devaient en même temps se mettre en mesure de le défendre avec sûreté ; comme ils ne l'ont pas fait, et ne pouvaient le faire, sans qu'il y eût division et par suite destruction du commandement, par là même ils se sont soumis à la volonté, qu'elle quelle fût, du pouvoir souverain. Nous y étant ainsi soumis, tant parce que la nécessité (comme nous l'avons montré) nous y contraignait que par la persuasion de la Raison elle-même, à moins que nous ne voulions être des ennemis du Pouvoir établi et agir contre la Raison qui nous persuadede maintenir cet établissement de nos forces, nous sommes tenus d'exécuter absolument tout ce qu'enjoint le souverain, alors même que ses commandements seraient les plus absurdes du monde ; la Raison nous ordonne de le faire, parce que c'est choisir de deux mots le moindre. Ajoutons que l'individu pouvait affronter aisément le danger de se soumettre absolument au commandement et à la décision d'un autre ; nous l'avons montré en effet, ce droit de commander tout ce qu'ils veulent n'appartient aux souverains qu'autant qu'ils ont réellement un pouvoir souverain ; ce pouvoir perdu, ils perdent en même temps le droit de tout commander et ce droit revient à celui et à ceux qui peuvent l'acquérir et le conserver. Pour cette raison, il est extrêmement rare que les souverains commandent des choses très absurdes ; il leur importe au plus haut point, en effet, par prévoyance et pour garder le pouvoir, de veiller au bien commun et de tout diriger selon l'injonction de la Raison."

Spinoza, Traité théologico-politique (1670), chapitre XVI, trad. Ch. Appuhn, Éd. Flammarion, coll. GF, 1965, pp. 266-267.


Je n'ignore pas la haine et l'envie de votre cœur. Vous n'êtes pas assez grands pour ne pas connaître la haine et l'envie. Soyez donc assez grands pour ne pas en avoir honte ! Et si vous ne pouvez pas être les saints de la connaissance, soyez-en du moins les guerriers. Les guerriers de la connaissance sont les compagnons et les précurseurs de cette sainteté. Je vois beaucoup de soldats : puissé-je voir beaucoup de guerriers ! On appelle « uniforme » ce qu'ils portent : que ce qu'ils cachent dessous ne soit pas uniforme ! Vous devez être de ceux dont l’œil cherche toujours un ennemi- votre ennemi. Et chez quelques-uns d'entre vous il y a de la haine à première vue. Vous devez chercher votre ennemi et faire votre guerre, une guerre pour vos pensées ! Et si votre pensée succombe, votre probité doit néanmoins crier victoire ! Vous devez aimer la paix comme un moyen de guerres nouvelles. Et la courte paix plus que la longue. Je ne vous conseille pas le travail, mais la lutte. Je ne vous conseille pas la paix, mais la victoire. Que votre travail soit une lutte, que votre paix soit une victoire ! On ne peut se taire et rester tranquille, que lorsque l'on a des flèches et un arc : autrement on bavarde et on se dispute. Que votre paix soit une victoire ! Vous dites que c'est la bonne cause qui sanctifie même la guerre ? Je vous dis : c'est la bonne guerre qui sanctifie toute cause. La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l'amour du prochain. Ce n'est pas votre pitié, mais votre bravoure qui sauva jusqu'à présent les victimes.
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra



Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude et régir une société. Que des hommes épars soient successivement asservis à un seul, en quelque nombre qu'ils puissent être, je ne vois là qu'un maître et des esclaves, je n'y vois point un peuple et son chef : c'est, si l'on veut, une agrégation, mais non pas une association : il n'y a là ni bien public ni corps politique. Cet homme, eut-il asservi la moitié du monde, n'est toujours qu'un particulier ; son intérêt, séparé de celui des autres, n'est toujours qu'un intérêt privé. Si ce même homme vient à périr, son empire après lui reste épars et sans liaison, comme un chêne se dissout et tombe en un tas de cendres, après que le feu l'a consumé. Un peuple, dit Grotius, peut se donner à un roi. Selon Grotius, un peuple est donc un peuple avant de se donner à un roi. Ce don même est un acte civil, il suppose une délibération publique. Avant donc d'examiner l'acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d'examiner l'acte par lequel un peuple est un peuple. Car cet acte étant nécessairement antérieur à l'autre est le vrai fondement de la Société."
Rousseau, Du contrat social, 1762, Livre I, Chapitre 5.



Le besoin nous contraint au travail dont le produit apaise le besoin : le réveil toujours nouveau des besoins nous habitue au travail. Mais dans les pauses où les besoins sont apaisés et, pour ainsi dire, endormis, l'ennui vient nous surprendre. Qu'est-ce à dire ? C'est l'habitude du travail en général qui se fait à présent sentir comme un besoin nouveau, adventice ; il sera d'autant plus fort que l'on est plus fort habitué à travailler, peut-être même que l'on a souffert plus fort des besoins. Pour échapper à l'ennui, l'homme travaille au-delà de la mesure de ses autres besoins ou il invente le jeu, c'est-à-dire le travail qui ne doit apaiser aucun autre besoin que celui du travail en général. Celui qui est saoul du jeu et qui n'a point, par de nouveaux besoins, de raison de travailler, celui-là est pris parfois du désir d'un troisième état, qui serait au jeu ce que planer est à danser, ce que danser est à marcher, d'un mouvement bienheureux et paisible : c'est la vision du bonheur des artistes et des philosophes.
Nietzsche, Humain, trop humain.



Rousseau, Du contrat social, 1762, Livre III, chapitre 4.





"La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un de ses membres est de l'empêcher de nuire aux autres. Contraindre quiconque pour son propre bien, physique ou moral, ne constitue pas une justification suffisante. Un homme ne peut pas être légitimement contraint d'agir ou de s'abstenir sous prétexte que ce serait meilleur pour lui, que cela le rendrait plus heureux ou que, dans l'opinion des autres, agir ainsi serait sage ou même juste. Ce sont certes de bonnes raisons pour lui faire des remontrances, le raisonner, le persuader ou le supplier, mais non pour le contraindre ou lui causer du tort s'il agit autrement. La contrainte ne se justifie que lorsque la conduite dont on désire détourner cet homme risque de nuire à quelqu'un d'autre. Le seul aspect de la conduite d'un individu qui soit du ressort de la société est celui qui concerne les autres. Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l'individu est souverain."

John Stuart Mill, De la liberté, 1859.


Il n'est pas bon que celui qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues générales pour la donner aux objets particuliers. Rien n'est plus dangereux que l'influence des intérêts privés dans les affaires publiques, et l'abus des lois par le gouvernement est un mal moindre que la corruption du législateur, suite infaillible des vues particulières. Alors, l�État étant altéré dans sa substance, toute réforme devient impossible. Un peuple qui n'abuserait jamais du gouvernement n'abuserait pas non plus de l'indépendance ; un peuple qui gouvernerait toujours bien n'aurait pas besoin d'être gouverné.À prendre le terme dans la rigueur de l'acception, il n'a jamais existé de véritable démocratie, et il n'en existera jamais. Il est contre l'ordre naturel que le grand nombre gouverne, et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, et l'on voit aisément qu'il ne saurait établir pour cela des commissions sans que la forme de l'administration change.

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