vendredi 10 juin 2011

Werner Heisenberg/Le problème de la nature dans la physique contemporaine


Mais en quelques dizaines d’années l’attitude de l’homme à l’égard de la nature changea fondamentalement. Dans la mesure où le savant pénétrait le détail des phénomènes de la  nature, il comprenait, en effet, comme Galilée avait commencé de le faire, on pouvait dégager de l’ensemble certains phénomènes de la nature, les formuler mathématiquement et par là les « expliquer ».En même temps, il reconnaissait pourtant l’immense tâche qui s’imposait ainsi à la science de la nature en train de naître. Pour Newton, déjà, plus simplement l’œuvre de Dieu, concevable seulement comme totalité. Son attitude à l’égard de la nature se traduit le mieux dans ces mots célèbres :il avait, disait-il, l’impression d’être un enfant qui, jouant au bord de la mer, était heureux de trouver de temps en temps un galet plus lisse, un coquillage plus beau que d’ordinaire, pendant que le vaste océan de la vérité s’étendait, inexploré, devant lui. Le développement de la pensée chrétienne à cette époque peut expliquer le changement d’attitude du savant à l’égard de la nature : Dieu semblait si haut dans le ciel, si loin au-dessus de la terre, que considérer la terre indépendamment de Dieu pouvait prendre un sens aussi. Dans cette mesure on a même  le droit de parler, en ce qui concerne les sciences modernes de la nature, d’une forme spécifiquement chrétienne d’impiété : on trouve un échos chez Kamah. Cela permet de comprendre la raison pour laquelle aucune évolution correspondante ne s’est produite dans d’autres cultures. C’est pourquoi ce n’est probablement pas par hasard que, justement à cette époque, la nature en elle-même devient, indépendamment du thème religieux, un sujet de représentation artistique. Considérer la nature non seulement en dehors de Dieu, mais aussi en dehors de l’homme, de sorte que naisse l’idéal d’une description ou d’une explication « objective » de la nature, correspond entièrement, en ce qui concerne les sciences de la nature, à cette tendance. Il faut cependant souligner que, pour Newton aussi, le coquillage avant de l’importance parce qu’il sortait du grand océan de la vérité ; observer ce coquillage n’est pas encore un but en soi ;se consacrer à son étude n’acquiert un sens que par la cohérence de l’ensemble.
Werner Heisenberg, La nature dans la physique contemporaine, « le problème de la nature ».



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